Le 13 octobre, le ministre de l’Éducation nationale et de la jeunesse Pap Ndiaye a déclaré dans un article paru dans le journal Le Monde qu’il existerait des « signes religieux par destination », c’est-à-dire qui deviendraient religieux « par une intention que leur prête leur auteur. » Selon lui, « un bandana n’est pas un signe religieux en lui-même, mais il peut le devenir ». L’expression de « signes religieux par destination » a par la suite été employée le même jour par la Secrétaire d’État auprès du ministre des Armées et du ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse Sarah el Haïry qui a déclaré : « L’école est un sanctuaire, que l’on doit protéger de tout prosélytisme. Quand une tenue est un signe religieux par nature ou par destination : alors elle est interdite et n’a rien à faire au sein d’un établissement scolaire. » Quelques jours plus tard, le 18 octobre, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin adresse une lettre à l’attention de tous les préfets de France affirmant que « les abayas ou les qamis constituent bien des vêtements religieux par destination dès lors que la finalité qui s’attache à leur port ne fait aucun doute ». Tout porte à croire que ce concept fraîchement fabriqué de « signes religieux par destination » et les mesures qu’il permet inaugure une nouvelle séquence de répression accrue pour les lycéens et collégiens de confession musulmane. C’est ce que montrent en effet les nombreux témoignages d’élèves qui ont été victimes lors de cette rentrée scolaire d’actes discriminatoires et portant atteinte à leurs libertés fondamentales du fait de leurs façons de se vêtir : insultes, intimidation, humiliations, injonctions à se déshabiller, menaces d’exclusion ou de conseils disciplinaires, les témoignages sont alarmants. Le personnel pédagogique des établissements concernés, ainsi explicitement encouragé par le gouvernement à traquer les « signes religieux par destination », ont fait vivre à ces élèves des épisodes de véritable harcèlement, uniquement parce que leurs tenues ont été jugées trop amples, trop longues, ou trop couvrantes. De simples gilets, des capuches, des écharpes portées rapidement sur la tête pour se protéger de la pluie un instant, ont ainsi provoqué des réactions tout à fait démesurées. Dans une lettre adressée aux recteurs, le ministère de l’Éducation nationale incitait en effet à considérer comme une atteinte à la laïcité « les signes ou tenues [qui] ne sont pas par nature des signes d’appartenance religieuse, mais le deviennent indirectement et manifestement compte tenu de la volonté de l’élève de leur faire produire cette signification, au regard de son comportement. » Cette formulation extrêmement floue pousse le personnel éducatif à réaliser de véritables enquêtes afin de déterminer si la tenue de l’élève est ou non à considérer comme religieuse. Les témoignages recueillis par le CCIE reflètent ainsi une tenace volonté d’incursion dans la vie personnelle des élèves : quelles sont leurs croyances religieuses ? l’élève porte-t-elle le voile en dehors de l’établissement ? porte-t-elle un legging en dessous de sa robe ? porte-t-elle toujours ce type de tenue ? etc… C’est là toute la contradiction de cette nouvelle interprétation de la laïcité à l’école. Si des membres du gouvernement ont déclaré pour justifier cette démarche « qu’on ne doit pas deviner la confession du jeune », c’est l’exacte inverse qui se produit puisque le personnel pédagogique est précisément encouragé à « deviner », à chercher activement à déterminer la religiosité de l’élève à travers un faisceau de « signes » (le comportement de l’élève, la permanence de la tenue, son refus de l’enlever, sa culture familiale, ses positionnements politiques sur les attentats par exemple, etc…). Cette politique de suspicion à l’égard des élèves est extrêmement inquiétante, d’autant plus qu’elle cible principalement les jeunes filles : ce sont en effet elles qui, de manière écrasante, font l’objet d’un tel traitement. La focalisation des administrations concernées quant à leurs tenues vestimentaires envoie à ces jeunes filles un message déplorable, à un âge de grande vulnérabilité. Les injonctions à se dévêtir, à se découvrir, à montrer ce qu’il y a sous la robe, laissent en effet entendre qu’un certain niveau de dévoilement du corps est nécessaire à leur présence à l’école. Face à ce message sexiste, il faut réitérer le droit fondamental de ces jeunes filles à faire leurs propres choix quant à leurs façons de s’habiller. Par ailleurs, ce sont systématiquement les élèves perçues comme d’origine maghrébine ou africaine qui subissent ces prises à partie, car le personnel éducatif déduit de leurs origines leurs appartenances religieuses. La surveillance des choix vestimentaires des jeunes filles revêt ainsi une dimension raciste, puisqu’elle concerne presque systématiquement les jeunes filles considérées par l’administration des lycées comme d’origine maghrébine ou africaine. Atteinte aux libertés fondamentales des élèves, pratiques humiliantes, sexistes et racistes envers des mineur.e.s, c’est le résultat consternant de l’injonction à détecter les « signes religieux par destination ». Le CCIE est chaque jour sollicité pour soutenir des centaines de lycéen.ne.s en proie à une véritable police de la conscience à l’école. À tout cela doit s’ajouter une couverture médiatique et politique qui n’hésite pas à présenter les élèves concerné.e.s comme des agent.e.s d’une « offensive islamiste », dans une rhétorique qui criminalise de simples choix vestimentaires et opère un rapprochement tendancieux avec l’assassinat du professeur Samuel Paty. Les chiffres officiels mobilisés pour démontrer la multiplication des atteintes à la laïcité lors de cette rentrée ne prouvent pas, comme le prétend le ministre de l’Intérieur, l’éruption d’une « offensive islamiste » orchestrée pour faire pression sur l’école. Ils reflètent plutôt l’élargissement délibéré de la définition de la notion d’atteinte à la laïcité, et l’intensification des signalements dans un climat de surveillance policière. Il est intolérable que l’école devienne le lieu d’une telle violence à l’endroit des élèves, qu’on les humilie pour leurs choix vestimentaires et qu’on leur dénie ainsi leur liberté de conscience. Le glissement de l’interdiction des signes religieux dits « ostentatoires » aux signes religieux « par destination » doit donc retenir toute
Gérald Darmanin semble choisir de réagir aux actes haineux islamophobes visant les mosquées en fonction de l’adhésion de ces dernières à la Charte des principes de l’Islam de France. Explications. La dernière réaction de Gérald Darmanin suite à la profanation de la mosquée de La Mûre a fait couler beaucoup d’encre. Beaucoup ont relevé l’hypocrisie d’une condamnation de façade face à une politique de diabolisation des mosquées de France. C’est encore pire que cela. Si on pouvait malheureusement s’en douter, c’est désormais démontrable : Gérald Darmanin, ministre chargé de la protection des cultes, semble choisir de condamner (ou non) une profanation à l’encontre d’une mosquée selon que celle-ci a signé (ou pas) la charte des principes de l’Islam de France. C’est un nouveau palier inédit qui est franchi dans la banalisation de l’expression de haine à l’égard des musulmans. Pas de charte, pas de condamnation ? Les chiffres sont implacables. En 2021, 30 mosquées et institutions musulmanes ont été visées par des actes haineux. 18 sont survenus au cours des quatre derniers mois. 27 ont ciblé directement des mosquées. Un tag haineux a ciblé l’ONG musulmane “Human Appeal”, un centre-ville historique a été couvert de tags “Islam Dehors”, et enfin, une lettre de menace de mort a été envoyée au Président de la confédération Milli Görus, Fatih Sarikir. Sur ces 30 manifestations de haine à l’égard des musulmans, Gérald Darmanin n’a eu de mots de condamnation sous forme de tweets qu’à 8 reprises. Jamais une seule mosquée turque dépendante des confédérations CIMG (Milli Gorus) ou DITIB n’ont eu de mots de sa part, quelle que soit, par ailleurs, l’ignominie des messages haineux adressés aux mosquées. Ou plutôt si. La seule fois étant la salle de prière de La Mure, gérée par une association turque, et visée par un acte haineux le 28 décembre dernier, soit quelques jours après que le CIMG, et les deux autres fédérations restantes (Foi et Pratique et DITIB) aient finalement signé la charte des principes de l’Islam de France. Pour rappel, la charte des principes de l’Islam de France est un texte largement controversé, en ce qu’il impose un cadre dépassant les règles de neutralité de l’état en matière de laïcité par rapport au culte musulman. Elle contient également une mention intimant les responsables du lieu de culte de ne pas faire mention d’une “islamophobie d’État” lors des prêches. Le texte, tant par la démarche que par son contenu, avait suscité de vives critiques du monde associatif musulman. À la question : « Est-ce que les actes de la politique du Ministère de l’Intérieur conduisent à banaliser les actes haineux à l’égard des mosquées ?”, la réponse devient alors évidente. Et cela fait froid dans le dos, particulièrement dans un contexte où nous notons des actions coordonnées contre des mosquées. Des attaques coordonnées et…banalisées Dans la nuit du 7 novembre au 8 novembre 2021, quatre mosquées du département du Doubs (25) en Bourgogne-Franche-Comté sont marquées à la peinture rouge d’une croix de Lorraine. Deux semaines plus tard, dans la nuit du 20 novembre au 21 novembre 2021, deux mosquées ont subi le même sort. Au total, 6 mosquées ont été visées dans le Doubs, avec le même mode opératoire, mais aucune mesure officielle de protection renforcée de ces mosquées n’a été annoncée par le préfet Jean-François Colombet. Détail supplémentaire : alors que la première attaque visant quatre mosquées, appartenant toutes à la fédération turque Ditib, n’avait suscité aucune réaction ni de la part du Préfet, ni du Ministre de l’Intérieur, la seconde attaque visant deux mosquées a été unanimement condamnée par les autorités publiques. À noter que ces deux dernières mosquées n’appartiennent pas aux confédérations turques. Par ailleurs, nous constatons une forme de revendication politique assumée dans les attaques visant les mosquées, reflétant les discours politiques. Par exemple, la Croix de Lorraine était un symbole de résistance face à l’Allemagne nazie. Ici, elle est utilisée pour viser les membres des communautés musulmanes en écho aux discours ambiants comparant des militants antiracistes perçus comme musulmans à des “nazislamistes”. Nous nous rappelons également des discours comparant le voile à un brassard nazi. Le 10 avril 2021, c’était le Centre Avicennes à Rennes qui était visé par plusieurs tags islamophobes haineux. Parmi ces messages, nous pouvions y lire “EELV = traîtres” quelques semaines après la polémique nationale qui avait visé la municipalité écologique de Strasbourg suite à son aval au projet de construction de la mosquée Eyyup Sultan. Les discours des personalités politiques favorisent les passages aux actes haineux et nourrissant un cercle sans fin de surenchère islamophobe. L’exemple le plus éclatant du sentiment d’impunité qui anime les auteurs des tags haineux est ce message s’adressant au gouvernement, laissé sur le mur de la mosquée de Martigues en juillet dernier, au milieu d’inscriptions obscènes “Arab dehors, “porc”, “N*k musulmans” : “À l’aide gouvernement: le sentiment d’insécurité est une réalité”. Les agissements du Premier flic de France, conditionnant son indignation à des actes intentant aux biens et à l’intégrité de fidèles musulmans à la signature d’une charte, viennent renforcer une logique où il y aurait des “bons musulmans”, qui mériteraient notre solidarité, tandis que les autres mériteraient leur sort. Cela paraît d’autant plus alarmant que la “carte des mosquées non signataires de la charte”, publiée par le fasciste et fondateur de Fdesouche Damien Rieu le 10 mars 2021, est toujours en ligne, accessible par tous sur Twitter. Si Cédric O, Secrétaire d’État à la transition numérique a su en début de semaine trouver des ressources pour contacter directement Instagram afin de faciliter la certification du compte de l’influenceuse controversée Mila, il semblerait que personne au gouvernement n’ait eu le temps de contacter Twitter France pour leur suggérer de supprimer ce tweet, alors qu’au moins un tiers des mosquées visées en 2021 se retrouvent sur cette carte. Un questionnement s’impose alors : qui est-ce qui s’enfonce de plus en plus dans le séparatisme, en excluant du contrat républicain une partie de sa population ?