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Pour des sanctions contre l’islamophobie décomplexée des médias audiovisuels

Signez la pétition ici. Le CCIE a pris connaissance du communiqué de presse de l’ARCOM en date du 7 novembre 2023 suite à sa réunion avec les médias audiovisuels concernant le traitement du conflit au Proche-Orient et escompte des changements immédiats dans les programmes et les prises de positions des chaînes télévisées. Depuis début octobre et les événements tragiques se déroulant actuellement en Palestine, la communauté musulmane de France a été la cible à de nombreuses reprises de propos discriminants, racistes et islamophobes sur différents plateaux de télévision. Des discours d’une grande gravité ont été tenus, avec une absence étonnante de contradiction de la part des journalistes présents sur ces plateaux, qui ont préféré laisser libre cours à ces propos pourtant condamnables par la loi. Pour exemples : Il est intolérable que ces propos puissent être formulés avec une telle liberté et en toute impunité. Ces déclarations n’engagent pas seulement la responsabilité de leurs auteurs mais également celle des chaînes de télévision qui offrent alors un écho inquiétant à ces idées profondément racistes et islamophobes.  Le CCIE, particulièrement inquiet du traitement médiatique réservé aux communautés musulmanes de France, demande à l’ARCOM : 

« Djihadisme d’atmosphère » : qui rend l’air irrespirable ?

Après l’attentat d’Arras et le début de la guerre à Gaza et sous l’influence d’une poignée d’idéologues peu scrupuleux, certains membres du gouvernement français ont officiellement adopté la notion de « djihadisme d’atmosphère » : le 19 octobre, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin dénonçait ainsi la « naïveté » des institutions européennes quant à ce phénomène. Plus tôt, il affirmait que La France Insoumise, parti de gauche accusé de refuser de condamner le Hamas, faisait du « djihadisme d’atmosphère », qu’il définit alors comme une « stratégie de crime contre la pensée » :  « Je ne veux pas faire de politique fiction mais c’est sûr que quand on entend des paroles violentes, quand on refuse de condamner des choses évidentes, lorsqu’on manipule parfois l’information, on crée un halo, ce que l’on appelle dans les services de renseignement le djihadisme d’atmosphère. Ce djihadisme d’atmosphère permet aux gens de passer à l’acte, on crée un halo qui malheureusement justifie des actes injustifiables ».  L’ancien ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer, mobilise aussi cette expression dans une interview donnée le 26 octobre dans laquelle il affirme qu’ « il y a un islamisme et un djihadisme d’atmosphère. Il faut prendre la mesure de ce qui se joue aujourd’hui et aller à la conquête des cœurs et des esprits dans la société française. Nous devons bien montrer aussi notre capacité à défendre la démocratie, en France comme en Israël et dans le monde ». Ce concept, théorisé par Gilles Kepel notamment dans son ouvrage Le prophète et la pandémie. Du Moyen-Orient au jihadisme d’atmosphère, désigne un air du temps de haine anti-française se propageant en dehors des réseaux terroristes et propice au passage à l’acte violent. En mélangeant phénomène migratoire, islam politique, et délinquance de banlieue, le politologue crée ainsi une expression fourre-tout à même de légitimer stigmatisation et répression. Ainsi, pour Kepel,  « nous sommes confrontés à une guerre culturelle dans le monde virtuel qui se répercute à travers des projets d’hégémonie territoriale. Il y a trente ans, la bataille contre le port des signes ostentatoires à l’école, après l’irruption des collégiennes voilées à Creil à l’automne 1989 n’a finalement été livrée qu’au bout d’un processus erratique qui a pris trois lustres (…) Je pense qu’on ne peut pas se permettre de perdre quinze ans de nouveau en procédures et en chicanes. Et en ce sens, il est important qu’un travail législatif rapide permette d’enrayer ce processus déliquescent ». Désignant tout à la fois le soutien à la Palestine, le voile à l’école ou les crimes revendiqués par Daesh, l’expression de « djihadisme d’atmosphère » n’a ainsi qu’une seule visée : réunir sous une même ombrelle tant de phénomènes sociaux distincts que toute intelligibilité leur est déniée. Le “djihadisme d’atmosphère” fonctionne ainsi en doublet avec une autre notion en vogue, celle du “frérisme”, également endossée par l’État, dont sa propagatrice estime qu’il est la réalité indépassable de la religion musulmane contemporaine et de ses fidèles. Tout signe d’appartenance à l’islam et toute pratique religieuse liée à l’islam peuvent alors englobés dans l’une ou l’autre de ces deux notions fourre-tout. Ces deux notions de « djihadisme d’atmosphère » et de « frérisme » finissent ainsi de nous enfermer dans un syllogisme simplet : puisque tout.e musulman.e est frériste, de Karim Benzema à Médine, et que tout frériste est un djihadiste d’atmosphère en puissance, il en ressort logiquementque l’ennemi est aussi multiple que nuisible. Puisque le djihadisme est « dans l’atmosphère », il est à débusquer partout. Ce flou informe englobe ainsi les Palestiniens de Gaza et les Tchétchènes de France, les acteurs musulmans de la société civile et les partisans de Daech. Cette perspective idéologique cache mal la forme de politique qu’elle appelle de ses vœux : en prenant appui sur tant d’équivalences trompeuses, les tenants du djihadisme d’atmosphère invitent à la radicalisation de la politique gouvernementale à l’égard des communautés musulmanes de France. Qu’importe dès lors si les faits dont il s’agit, que ce soit l’assassinat de Dominique Bernard à Arras ou celui de deux supporters suédois à Bruxelles, sont alors réduits à illustrer un phénomène assimilé aussi bien à l’abaya à l’école qu’au phénomène migratoire, les tenants des thèses du frérisme et du djihadisme d’atmosphère visent moins à décrire la mécanique de la violence djihadiste qu’à prescrire la guerre de tous contre tous ou, plus exactement, la guerre de tous contre les communautés musulmanes de France. Cette construction idéologique est de fait mortifère lorsqu’elle est endossée par l’État. Le 31 octobre, à Paris, la police ouvre le feu sur une femme « intégralement voilée » ; celle-ci aurait tenu des propos menaçants, avant de « refuser d’obtempérer », selon l’expression policière consacrée, aux sommations des forces de l’ordre. À l’heure où ce texte est rédigé, son pronostic vital demeure engagé. Elle n’était pourtant en possession d’aucune arme ; plus tard, il sera révélé qu’elle souffrait de troubles psychiatriques.  D’un fait d’actualité à l’autre apparaissent les conséquences de l’obsession collective et gouvernementale autour des communautés musulmanes de France – mais le scénario du drame qui se laisse deviner n’est pourtant pas inéluctable. À l’heure de l’autoritarisme du gouvernement français, qui fait fond sur une crise morale et politique inédite par son ampleur, le Collectif contre l’islamophobie en Europe veut s’adresser aux forces vives de la société, celles qui n’ont pas encore renoncé à combattre tant le racisme, l’antisémitisme et l’islamophobie, que l’extraordinaire violence sociale dont fait preuve le gouvernement français. Ce n’est ainsi que par une alliance autour de valeurs de justice et de solidarité que le pire peut encore être évité. 

De l’interdiction à l’insulte, sur les propos du président de la République

« Il faut que tout le monde s’y range et que ce soit respecté, il faut que les familles qui voulaient mettre l’abaya pour leur fille, ou les jeunes filles qui voulaient la mettre, comprennent ce pourquoi on le fait (…). On ne vous empêche pas de croire à une religion, mais dans l’école, il n’y a pas de place pour ces signes. On a des parents qui nous défient, des gens qui testent la laïcité. Il ne faut pas se tromper, nous vivons dans notre société aussi – avec une minorité mais quand même – de gens qui, détournant une religion, viennent défier la République et la laïcité, et pardon, mais ça a parfois donné le pire. On ne peut pas faire comme s’il n’y avait pas eu l’attaque terroriste et l’assassinat de Samuel Paty dans notre pays, et ça s’est fait. (…) Le pire est arrivé. Donc ça existe, des gens qui sont capables du pire dans notre pays, donc on ne doit rien céder. » Emmanuel Macron, le 4 septembre 2023 En accordant une interview à un vidéaste populaire, le chef de l’État a manifestement visé à parler aux « jeunes ». Si la forme est neuve, le contenu, qui rapproche le port de vêtements amples à l’école à l’assassinat d’un professeur, demeure désespérément vieux, éculé et réactionnaire. Sa prise de parole s’inscrit dans un contexte politique et social de rare incandescence. La violence déchaînée par son gouvernement contre le mouvement de contestation de la réforme des retraites s’est redoublée face à la jeunesse des banlieues et d’au-delà, révoltée par la mise à mort de l’un des leurs par la police. Comme chaque année, la rentrée scolaire et universitaire se déroule dans des conditions gravement dégradées, du fait du manque de considération à l’égard de l’ensemble de la communauté éducative, la faiblesse des moyens matériels qui lui sont alloués et l’imbroglio des réformes successivement pensées en complète déconnexion avec le réel. Dans ce contexte, le nouveau ministre de l’Éducation nationale croit allumer un contre-feu. Produit de l’une des institutions privées les plus élitistes de France, il affirme défendre l’école républicaine en en excluant de fait les élèves musulmanes dont l’aspect permettrait de deviner leur confession. Le ministre l’affirme fermement : qu’il s’agisse d’un habit consacré par la tradition religieuse ou d’une pratique vestimentaire neutre par elle-même mais adoptée au sein de la jeunesse musulmane, la même condamnation implacable doit lui être opposée. Robes longues, kimonos ou pulls et pantalons amples, peu importe le prétexte, il s’agit de poursuivre la mécanique acharnée d’incrimination des musulmans, au sein de l’école et avec les enfants qui la fréquentent. L’abaya est interdite, la proposition d’uniforme scolaire que l’on avait crue oubliée est ressuscitée. La séquence ne peut étonner ceux et celles qui reconnaissent à chaque nouvelle « affaire » l’obsession d’une partie des élites politiques radicalisées quant à la communauté musulmane. D’année en année, de rentrée scolaire en rentrée scolaire, les musulmanes et les musulmans de ce pays sont ainsi tristement habitués à subir les foudres du débat public. Cette nouvelle mise en musique de l’islamophobie d’ambiance se heurte néanmoins à la réalité d’un climat social dégradé bien au-delà de la communauté musulmane. Si elle est attachée à la laïcité, la communauté éducative se refuse à endosser le rôle de hussards noirs d’un gouvernement qui ne cesse de lui exprimer son mépris. Meurtrie par la violence policière des derniers mois, la jeunesse de France rejette tout à la fois l’incrimination perpétuelle de sa composante musulmane et la dérive réactionnaire qui en est à la source. C’est dans ce contexte que le chef de l’État s’est vu obligé de justifier les annonces de son ministre de l’Éducation nationale. S’il faut se montrer si implacable, si belliqueux, ce serait donc en vertu du passé : le nom « Samuel Paty » est lâché. Peu importe le respect que l’on doit aux morts, peu importe que les proches de Samuel Paty accusent l’État de ne pas l’avoir protégé, peu importe enfin que l’actualité récente ait été marquée par l’affaire du Fonds Marianne, fondé en hommage à Samuel Paty mais détourné, « on ne doit rien céder parce que le pire est arrivé » affirme Emmanuel Macron. De proche en proche, la violence terroriste la plus abjecte, l’assassinat cruel d’un professeur, est ainsi censée fonder la motivation de la politique gouvernementale d’exclure une nouvelle fois des musulmans de l’école, et plus largement de la communauté nationale. Comment s’étonner alors, après ces mots, après la constante criminalisation de la jeunesse musulmane, après les humiliations subies par ces jeunes filles sommées de montrer leurs formes pour entrer à l’école, que certaines d’entre elles répondent de façon déplorable ?  Deux élèves font en effet actuellement la une des journaux pour avoir envoyé des messages de menace à une CPE. Si ce comportement est injustifiable, la question reste entière de la part de responsabilité d’un gouvernement décidé à ne montrer à une partie de la jeunesse de France que mépris et brutalité. À l’heure d’une inquiétante dégradation de la vie sociale en France et du climat politique, le CCIE appelle le gouvernement à retrouver la raison, ainsi que les plus élémentaires des conventions morales. La tentation autoritaire que ces déclarations révèlent abîme déjà la communauté nationale bien plus que ne le pourraient jamais les robes longues des élèves musulmanes.

The Collectif Contre l'Islamophobie en Europe is a non-profit association based in Belgium.

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