LA SÛRETÉ DE L’ÉTAT, UN « MAL NÉCESSAIRE » OU UN « MAL » TOUT COURT ?

par Lode Vanoost (traduit en français, source en néerlandais)

La Sûreté de l’État répond-elle actuellement aux attentes d’un service de sécurité ? Par le passé, des incidents ont révélé que les services de renseignement à travers le monde se livrent souvent à des pratiques sournoises. Beaucoup de musulmans belges en ont fait l’expérience directe, avec parfois de lourdes conséquences.

C’est ce que conclut une étude de l’Université KUL 1 sur les conséquences des actions menées par la Sûreté de l’État dans le cadre de la lutte contre la radicalisation violente et le terrorisme. 

Quatre chercheuses ont ainsi interrogé 23 musulmans belges qui ont fait l’objet d’un signalement sans même en avoir été informés. Pour certains, le signalement a conduit à un licenciement en raison d’une fiche S. D’autres ont vu leur compte bancaire être clôturé ou ont été empêchés de voyager à la frontière. Dans quelques cas, ils ont été déportés. Plusieurs personnes interrogées ont subi de graves dommages psychologiques après avoir été stigmatisées au travail, dans la communauté locale ou au sein de leur propre famille. Aucune d’entre elles n’a, à aucun moment, été poursuivie ou condamnée pour des actes liés au terrorisme. Elles ont uniquement découvert le signalement suite à un incident parfois brutal avec la police ou au contrôle des frontières.

Les chercheurs de la KUL concluent que de nombreux musulmans sont injustement ciblés par les actions des services de sécurité et qu’ils subissent par conséquent un préjudice matériel, moral et financier.

UNE FICHE S À LA DEMANDE DE L’EMPLOYEUR ?

Les 23 victimes ont toutes été signalées pour un comportement suspect qui a valu que leur nom soit ajouté à une base de données sécuritaire des services de renseignements. Pour pouvoir émettre un signalement, il n’est nullement nécessaire qu’une loi ait été violée. Il suffit qu’un agent de la Sûreté de l’État estime qu’une personne (ou une organisation) soit inquiétante et mérite d’être surveillée. Si, plus tard, il s’avère que le signalement n’était pas fondé, les victimes ne sont pas indemnisées pour le préjudice financier qu’elles ont subi.

De plus, il y a de fortes suspicions que la Sûreté de l’État rédige des fiches S à la demande de certains employeurs. Il y a, à titre d’exemple, le cas d’un délégué syndical à l’aéroport qui, avant de devenir syndicaliste, avait travaillé pendant des années à la satisfaction de tous. Or, durant une action sociale pour de meilleures conditions de rémunération et de travail, ce dernier a été licencié sur-le-champ.

En Belgique, il est possible de faire appel contre une fiche S auprès de l’Organe de recours du tribunal, mais pas contre les conséquences d’un signalement.

LE TERRORISME TRAITÉ COMME PROBLÈME D’UNE COMMUNAUTÉ

Tous les répondants ayant participé à l’enquête reconnaissent le besoin de services gouvernementaux de sécurité et de renseignement. Cependant, ils dénoncent le fait que cette nécessité soit devenue un prétexte pour commettre des abus qui, par ailleurs, s’avèrent être fondés sur des préjugés, de fausses hypothèses et un manque parfois choquant de connaissances, de perspicacité et de compréhension des phénomènes sociaux sur lesquels les agents sont censés enquêter.

C’est pourquoi les répondants préconisent l’établissement de critères juridiques objectifs et une formation ciblée des fonctionnaires concernés sur la base de ces critères, car l’approche actuelle contient une défaillance structurelle. De plus, la Sûreté de l’État traite le terrorisme et la radicalisation comme un problème de toute une communauté, et non pas d’individus.

Notre rédaction a pu consulter le dossier d’un interprète assermenté qui a été victime de ces dérives sécuritaires et a perdu son emploi. Il est passé par des procédures extrêmement lentes et a finalement été blanchi de toutes les allégations mentionnées dans le signalement à son égard. 

Nous avons également eu accès aux plaidoiries, dans lesquelles il oppose à chacune des accusations portée par la Sûreté de l’Etat la réalité des faits de manière détaillée. Son plaidoyer ainsi que les témoignages en sa faveur ont été suffisamment convaincants pour le tribunal afin d’obtenir gain de cause sur toute la ligne et pour condamner la Sûreté de l’État. Dans une interview avec notre journal, l’interprète en question déclare :

« Certains agents de la Sûreté de l’État étaient tellement convaincus d’avoir attrapé un gros poisson que leurs préjugés et leur manque de connaissances les ont menés dans une vision étroite qui a inévitablement conduit à ce fiasco. J’espère que ma victoire pourra inspirer d’autres victimes à saisir les tribunaux. Mais il serait encore mieux que les législateurs de ce pays se rendent compte que cette impunité ne peut plus continuer et qu’ils donnent suite aux nombreuses suggestions que les chercheurs de la KUL ont formulées dans leur rapport. »

https://soc.kuleuven.be/anthropology/files/FARapport3-web-FR

 

Sources : 

https://www.dewereldmorgen.be/artikel/2022/12/19/staatsveiligheid-een-noodzakelijk-kwaad-of-gewoon-een-kwaad/

https://www.demorgen.be/nieuws/plots-stond-bilal-op-een-lijst-van-de-veiligheidsdiensten-ik-werd-bang-van-mezelf-toen-ik-het-rapport-las~b11dfd65/?referrer=https://www.google.com/

Le Collectif Contre l’Islamophobie en Europe est une association sans but lucratif basée en Belgique.

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