Face au harcèlement scolaire visant les élèves musulmanes, que fait la Défenseure des droits ?

Ces dernières années ont vu s’accroître exponentiellement les discriminations à l’endroit des personnes perçues comme étant musulmanes. Les discriminations qui touchaient les femmes portant le foulard concernent désormais celles qui choisissent simplement des vêtements amples et plus couvrants. L’élargissement de la loi sur le foulard de 2004 aux « signes religieux par destination » en 20221 a ainsi été à l’origine d’une période d’acharnement à l’endroit des lycéennes et collégiennes portant des tenues jugées arbitrairement trop couvrantes. Les déclarations de Gabriel Attal en cette rentrée scolaire laisse présager un redoublement des incidents. L’année passée, de nombreuses élèves ont déjà été victimes de formes diverses de harcèlement sexiste, de propos racistes et de sanctions disciplinaires abusives, à un âge de très grande vulnérabilité. Cette nouvelle disposition à l’égard des vêtements amples ne concerne d’ailleurs plus seulement l’école et d’autres discriminations sur ce fondement se font voir ailleurs, notamment dans l’accès à l’emploi. 

Sexisme, racisme, harcèlement scolaire : dans ce contexte de discriminations accrues, le CCIE s’étonne du silence de la Défenseure des droits lorsqu’elle est saisie pour des faits de racisme anti-musulman. La question se pose en effet de savoir si la Défenseure des droits remplit aujourd’hui pleinement son rôle auprès des citoyennes et citoyens dès lors qu’elle ne répond pas aux sollicitations de victimes de discrimination. Le harcèlement scolaire vécu par les élèves choisissant de porter des vêtements amples devrait pourtant alerter cette institution, tant s’y concentrent de nombreux enjeux primordiaux pour le Défenseur des droits : l’intérêt supérieur de l’élève, le bien-être à l’école, l’égalité de genre, la lutte contre les discriminations raciales et religieuses, la construction citoyenne et la confiance dans les services publics.

Les missions du Défenseur des droits

Le Défenseur des droits a en effet pour champ d’action ce qui concerne les relations entre les services publics et leurs usagers, et en particulier la lutte contre les discriminations de tout ordre, la défense de l’intérêt supérieur de l’enfant, le contrôle des forces de sécurité ainsi que la protection des lanceurs d’alerte. Ces prérogatives sont cruciales, puisqu’elles visent à corriger les inégalités, rendre les droits effectifs, et prévenir d’autres violations.

Sa mission doit être menée en tout indépendance (il doit « dire la vérité, parce qu’indépendant et libre, près de toutes et de tous, partout »2), notamment s’agissant du pouvoir exécutif, et doit contribuer à accroître la confiance de toute la société dans son service public. Le Défenseur des droits est ainsi censé garantir l’égalité et nourrir le sentiment de justice chez toutes les citoyennes et tous les citoyens. Ces visées sont d’autant plus importantes s’agissant des discriminations qui grèvent l’égalité de toutes et tous. Aussi est-il de la responsabilité du Défenseur des droits de défendre les groupes sociaux les plus touchés par des inégalités de traitements, notamment dans le cadre des services publics. L’approche intersectionnelle dont se prévaut le Défenseur des droits est directement requise pour la prise en compte des manières à travers lesquelles se combinent différentes formes de discrimination et d’oppression

Un changement de cap évident

Sur le plan de la lutte contre l’islamophobie, le Défenseur des droits a longtemps tenu ces engagements. Dès 2016, celui-ci alertait contre les dangers de la lutte contre l’islamisme radical et l’instauration d’une société de vigilance. Le Défenseur des droits mettait alors en garde contre les diverses formes de méfiance, de suspicion, et d’hostilité encouragées par la logique sécuritaire qui frappent les personnes et communautés musulmanes, érodant la cohésion sociale et compromettant les principes de l’État de droit. En 2019, il dénonce également les mesures attentatoires aux libertés et aux droits fondamentaux de la lutte contre le terrorisme, déplorant que celles-ci « tend[ent] à soutenir des attitudes fondées sur des amalgames et des préjugés, qui nourrissent les discriminations et fragilisent au quotidien les droits et les libertés, tout en remettant en cause les fondements du principe de laïcité »3.

Le Défenseur des droits s’est ainsi positionné en défense du principe de laïcité, régulièrement bafoué par les discriminants islamophobes, par exemple lorsque des solutions d’hébergement ont été refusées par un centre de réinsertion social à des personnes arborant un signe religieux4, lorsqu’une étudiante a été contrainte de retirer son foulard pour ses examens5, ou pour la réalisation d’un Pass navigo6, lorsque des mères portant un foulard ont été empêchées d’accompagner des sorties scolaires7, ou encore lorsque des femmes portant des maillots de bain couvrants se sont vues refuser l’entrée de piscines privées8. Le Défenseur des droits a également relevé que ces discriminations touchaient également les enfants, ce qu’ont exemplifié les divers cas de suppression des menus de substitution dans les cantines scolaires9

Pourtant, depuis le mandat de Mme Claire Hédon débuté en 2020, le CCIE s’inquiète d’un temps de traitement des dossiers exceptionnellement long. Lorsque des réponses de la Défenseure des droits parviennent enfin, elles sont invariablement en faveur du discriminant. Une étudiante a ainsi sollicité la Défenseure des droits car elle s’est vue interdire le port du voile au sein d’un centre de formation continue. Alors que cette interdiction a été qualifiée de violation par le comité des droits de l’Homme de l’ONU10, la réponse de la Défenseure des droits approuve l’interdiction du port du voile au motif non étayé du risque de trouble à l’ordre public11.

Suite à une autre sollicitation par nos services, la Défenseure des droits a décidé, sur la base du vadémécum de la laïcité à l’école, que les chefs d’établissement étaient en droit de demander que les élèves ôtent leur foulard lorsqu’elles venaient chercher leurs diplômes12

Une autre réponse de la  Défenseure des droits donne encore raison au discriminant lorsque celui-ci interdit l’entrée du lycée à une élève parce qu’elle porte une robe longue : « Il n’y a pas pour le moment de description des tenues inadaptées au sein des établissements scolaire. Par contre, au vu des photos que vous m’aviez fait parvenir, majoritairement elles sont considérées comme faisant partie des tenues à ne pas revêtir en établissement scolaire : il serait donc préférable de ne pas les mettre »13. Cette réponse – qui se contredit elle-même et se réfère vaguement à la circulaire sur les abayas – illustre la légèreté avec lesquelles sont traitées les questions de harcèlement sur la base des tenues vestimentaires d’élèves considérées comme musulmanes, par un organisme pourtant chargé de faire respecter les droits de chacune et de chacun, et en particulier des élèves.

Le Défenseur des droits, garant de l’intérêt supérieur de l’enfant ?

 Les droits de l’élève et de l’enfant sont l’une des priorités du Défenseur des droits. Dans le rapport annuel de 2019 dédié aux droits de l’enfant, le rapporteur des droits souligne que « le seul fait de ne pas mettre l’intérêt supérieur de l’enfant au cœur des préoccupations des institutions publiques en charge d’enfants a pour conséquence la production de violences directes ou indirectes. C’est le cas notamment lorsque la décision prise est fondée sur des logiques gestionnaires et des considérations étrangères à l’enfant lui-même au détriment de ses droits à bénéficier d’une sécurité affective, d’un parcours stable, de réponses adaptées à ses besoins, ou encore à exprimer son opinion dans un cadre individuel ou collectif »14.

Le harcèlement discriminatoire subi par les lycéennes choisissant de porter des vêtements amples correspond parfaitement à cette définition des violences faites à l’élève, à qui il est dénié à la fois sa liberté de se vêtir comme elle l’entend, sa liberté d’expression, sa liberté religieuse et son droit à la vie privée. En effet, les nombreuses lycéennes qui ont sollicité le CCIE du fait de graves atteintes à leurs libertés font état, lorsqu’elles sont convoquées par les proviseurs, des questionnements appuyés quant à leurs croyances et habitudes religieuses en dehors de l’établissement. De la même façon, demander de soulever les jupes pour montrer ce qu’il y a dessous, de se changer ou de se déshabiller correspondent à des traitements humiliants pour l’enfant.

Le rapport sur les droits de l’enfant insiste également sur le fait que l’insuffisante prise en compte du harcèlement ou l’absence de protection face à des violences psychologiques ou physiques empêche les élèves concernés de jouir de leur droit à l’éducation. Malgré ces dispositions, les réponses de la Défenseure des droits peinent à démontrer une reconnaissance adéquate de ces discriminations.

Des institutions sous pressions

Les raisons de ces prises de positions sont sans doute multiples, mais elles sont révélatrices des choix idéologiques opérés par le pouvoir exécutif et du climat de répression qui touche les individus, les associations ainsi que les institutions qui ne les partagent guère. Outre la dissolution du CCIF lui-même, les menaces du ministère de l’Intérieur contre la Ligue des Droits de l’Homme15 et la dissolution de l’Observatoire de la Laïcité16 en attestent ainsi clairement.

La Défenseure des droits serait à la hauteur de sa mission en défendant les droits et les libertés de chacun. L’alignement sur une politique de plus en plus attentatoire aux droits des institutions, aux libertés associatives, et aux individus de confession musulmane réelle ou supposée, validerait un traitement discriminatoire selon l’origine ou la confession religieuse du requérant. Le CCIE entend en tout cas interpeller contre son inaction quant au harcèlement scolaire subi par les lycéennes perçues comme étant de confession musulmane, au nom de la lutte contre le sexisme, contre le racisme et pour l’intérêt supérieur de l’enfant.

  1. Circulaire du 9 novembre 2022 du Ministère de l’Education nationale et de la Jeunesse adressée aux recteurs et rectrices d’académie https://www.education.gouv.fr/bo/22/Hebdo42/MENG2232014C.htm ↩︎
  2. Rapport annuel d’activité pour l’année 2019, page 3. Le Défenseur des droits. https://www.defenseurdesdroits.fr/sites/default/files/atoms/files/raa-2019-num-accessopti.pdf ↩︎
  3. Idem, page 35. ↩︎
  4.  Décision 2018-070 du 23 février 2018 relative à la demande qui serait faite aux personnes se présentant dans un centre d’hébergement et de réinsertion sociale de ne porter aucun signe religieux et au refus de traiter les dossiers et d’accorder des solutions d’hébergement aux personnes qui arboreraient de tels signes. https://juridique.defenseurdesdroits.fr/index.php?lvl=notice_display&id=24327
    ↩︎
  5. Décision 2016-299 du 16 décembre 2016 relative aux conditions dans lesquelles se sont déroulés les contrôles visant à prévenir la fraude aux examens lors de deux épreuves au sein d’une université. https://juridique.defenseurdesdroits.fr/index.php?lvl=notice_display&id=20643 ↩︎
  6. Décision 2020-134 du 2 octobre 2020 relative à l’obligation de présenter une photo ‘tête nue’ pour disposer d’un titre de transport en commun et ainsi circuler dans la région concernée https://juridique.defenseurdesdroits.fr/index.php?lvl=notice_display&id=34547&opac_view=-1 ↩︎
  7. Rapport annuel d’activité pour l’année 2019, page 36. Le Défenseur des droits. https://www.defenseurdesdroits.fr/sites/default/files/atoms/files/raa-2019-num-accessopti.pdf ↩︎
  8. Décision 2018-297 du 12 décembre 2018 relative au refus d’accès à la piscine d’un village de vacances à une cliente portant un burkini. https://juridique.defenseurdesdroits.fr/index.php?lvl=notice_display&id=27002&opac_view=-1 et Décision 2018-301 du 27 décembre 2018 relative au refus d’accès à un aquaclub géré par un syndicat mixe de deux femmes musulmanes souhaitant porter un burkini https://juridique.defenseurdesdroits.fr/index.php?lvl=notice_display&id=27354&opac_view=-1 ↩︎
  9. Rapport « Un droit à la cantine scolaire pour tous les enfants. Intérêt supérieur de l’enfant, égalité des droits et non-discrimination », 2019. https://juridique.defenseurdesdroits.fr/doc_num.php?explnum_id=18987 ↩︎
  10. Port du voile : Pourquoi le Comité des droits de l’homme de l’ONU critique la France. (2022, août 5). La Croix. https://www.la-croix.com/Religion/Voile-pourquoi-comite-droits-lhomme-lONU-critique-France-2022-08-05-1201227764 ↩︎
  11. Réponse du Défenseur des droits en date du 29 mars 2023. ↩︎
  12. Réponse du Défenseur des droits en date du 6 juillet 2023. ↩︎
  13. Réponse du Défenseur des droits en date du 5 janvier 2023. ↩︎
  14. Rapport annuel sur les droits de l’enfant, « Enfance et violence : la part des institutions publiques », 2019. https://www.defenseurdesdroits.fr/fr/rapports-annuels/2019/11/rapport-annuel-sur-les-droits-de-lenfant-2019-enfance-et-violence-la-part ↩︎
  15. Ligue des droits de l’homme : « La défense des libertés est devenue le sujet le plus brûlant de la période ». (2023, 23 juin). Le Monde. https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/05/03/ligue-des-droits-de-l-homme-la-defense-des-libertes-est-devenue-le-sujet-le-plus-brulant-de-la-periode_6171867_3232.html ↩︎
  16. L’Observatoire de la laïcité remplacé par un « comité interministériel de la laïcité ». (2021, 4 juin). Le Monde. https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/06/04/l-observatoire-de-la-laicite-remplace-par-un-comite-interministeriel-de-la-laicite_6082885_3224.html ↩︎

Le Collectif Contre l’Islamophobie en Europe est une association sans but lucratif basée en Belgique.

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