De l’interdiction à l’insulte, sur les propos du président de la République

« Il faut que tout le monde s’y range et que ce soit respecté, il faut que les familles qui voulaient mettre l’abaya pour leur fille, ou les jeunes filles qui voulaient la mettre, comprennent ce pourquoi on le fait (…). On ne vous empêche pas de croire à une religion, mais dans l’école, il n’y a pas de place pour ces signes. On a des parents qui nous défient, des gens qui testent la laïcité. Il ne faut pas se tromper, nous vivons dans notre société aussi – avec une minorité mais quand même – de gens qui, détournant une religion, viennent défier la République et la laïcité, et pardon, mais ça a parfois donné le pire. On ne peut pas faire comme s’il n’y avait pas eu l’attaque terroriste et l’assassinat de Samuel Paty dans notre pays, et ça s’est fait. (…) Le pire est arrivé. Donc ça existe, des gens qui sont capables du pire dans notre pays, donc on ne doit rien céder. »

Emmanuel Macron, le 4 septembre 2023

En accordant une interview à un vidéaste populaire, le chef de l’État a manifestement visé à parler aux « jeunes ». Si la forme est neuve, le contenu, qui rapproche le port de vêtements amples à l’école à l’assassinat d’un professeur, demeure désespérément vieux, éculé et réactionnaire.

Sa prise de parole s’inscrit dans un contexte politique et social de rare incandescence. La violence déchaînée par son gouvernement contre le mouvement de contestation de la réforme des retraites s’est redoublée face à la jeunesse des banlieues et d’au-delà, révoltée par la mise à mort de l’un des leurs par la police. Comme chaque année, la rentrée scolaire et universitaire se déroule dans des conditions gravement dégradées, du fait du manque de considération à l’égard de l’ensemble de la communauté éducative, la faiblesse des moyens matériels qui lui sont alloués et l’imbroglio des réformes successivement pensées en complète déconnexion avec le réel.

Dans ce contexte, le nouveau ministre de l’Éducation nationale croit allumer un contre-feu. Produit de l’une des institutions privées les plus élitistes de France, il affirme défendre l’école républicaine en en excluant de fait les élèves musulmanes dont l’aspect permettrait de deviner leur confession. Le ministre l’affirme fermement : qu’il s’agisse d’un habit consacré par la tradition religieuse ou d’une pratique vestimentaire neutre par elle-même mais adoptée au sein de la jeunesse musulmane, la même condamnation implacable doit lui être opposée. Robes longues, kimonos ou pulls et pantalons amples, peu importe le prétexte, il s’agit de poursuivre la mécanique acharnée d’incrimination des musulmans, au sein de l’école et avec les enfants qui la fréquentent.

L’abaya est interdite, la proposition d’uniforme scolaire que l’on avait crue oubliée est ressuscitée. La séquence ne peut étonner ceux et celles qui reconnaissent à chaque nouvelle « affaire » l’obsession d’une partie des élites politiques radicalisées quant à la communauté musulmane. D’année en année, de rentrée scolaire en rentrée scolaire, les musulmanes et les musulmans de ce pays sont ainsi tristement habitués à subir les foudres du débat public.

Cette nouvelle mise en musique de l’islamophobie d’ambiance se heurte néanmoins à la réalité d’un climat social dégradé bien au-delà de la communauté musulmane. Si elle est attachée à la laïcité, la communauté éducative se refuse à endosser le rôle de hussards noirs d’un gouvernement qui ne cesse de lui exprimer son mépris. Meurtrie par la violence policière des derniers mois, la jeunesse de France rejette tout à la fois l’incrimination perpétuelle de sa composante musulmane et la dérive réactionnaire qui en est à la source.

C’est dans ce contexte que le chef de l’État s’est vu obligé de justifier les annonces de son ministre de l’Éducation nationale. S’il faut se montrer si implacable, si belliqueux, ce serait donc en vertu du passé : le nom « Samuel Paty » est lâché. Peu importe le respect que l’on doit aux morts, peu importe que les proches de Samuel Paty accusent l’État de ne pas l’avoir protégé, peu importe enfin que l’actualité récente ait été marquée par l’affaire du Fonds Marianne, fondé en hommage à Samuel Paty mais détourné, « on ne doit rien céder parce que le pire est arrivé » affirme Emmanuel Macron. De proche en proche, la violence terroriste la plus abjecte, l’assassinat cruel d’un professeur, est ainsi censée fonder la motivation de la politique gouvernementale d’exclure une nouvelle fois des musulmans de l’école, et plus largement de la communauté nationale.

Comment s’étonner alors, après ces mots, après la constante criminalisation de la jeunesse musulmane, après les humiliations subies par ces jeunes filles sommées de montrer leurs formes pour entrer à l’école, que certaines d’entre elles répondent de façon déplorable ?  Deux élèves font en effet actuellement la une des journaux pour avoir envoyé des messages de menace à une CPE. Si ce comportement est injustifiable, la question reste entière de la part de responsabilité d’un gouvernement décidé à ne montrer à une partie de la jeunesse de France que mépris et brutalité.

À l’heure d’une inquiétante dégradation de la vie sociale en France et du climat politique, le CCIE appelle le gouvernement à retrouver la raison, ainsi que les plus élémentaires des conventions morales. La tentation autoritaire que ces déclarations révèlent abîme déjà la communauté nationale bien plus que ne le pourraient jamais les robes longues des élèves musulmanes.

Le Collectif Contre l’Islamophobie en Europe est une association sans but lucratif basée en Belgique.

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