Les résultats du second tour des élections législatives en France de juillet 2024 sont une éclaircie inattendue dans la chronique de la prise de pouvoir de l’extrême-droite. Ce succès des forces coalisées de la gauche démontre que la marche triomphale des courants nationalistes et réactionnaires n’a rien d’inéluctable, qu’une proposition de justice sociale peut faire reculer les affects racistes à l’œuvre au sein des sociétés européennes.
Le Collectif contre l’islamophobie en Europe (CCIE) joint sa voix à ceux et celles qui se réjouissent de la victoire du Nouveau Front populaire. La stratégie du choc promue par le chef de l’État, dont l’effet attendu était d’offrir le pouvoir au Front national, n’a pas fonctionné, la société française a démontré qu’un autre futur était possible, fondé sur la liberté, l’égalité et la fraternité. Cependant, ces mots sont destinés à demeurer vains si la gauche, qui sera peut-être au pouvoir à compter des jours prochains, ne défait pas le nœud de l’islamophobie dans lequel est prise la société française. Le CCIE ne peut faire semblant d’oublier que les forces de gauche triomphantes aujourd’hui n’ont que peu combattu la succession des mesures infligées aux communautés musulmanes de France tout au long des dernières années.
Les dissolutions d’organisations issues de la société civile, la loi séparatisme, la focalisation du débat public sur chaque pratique des musulmanes et des musulmans (existe-t-il une communauté dont l’humiliation quotidienne constitue à ce point un sport national ?), les perquisitions administratives… En France, la criminalisation des individus, y compris des enfants, et des organisations collectives peut être conduite sans que nul contre-pouvoir n’entre en action. Cette trame politique est la condition nécessaire de l’accession au pouvoir de l’extrême-droite, laquelle est seule à proposer la solution au « problème musulman »que d’autres ont construit pour elle.
Souvent indifférente au sort des musulmans et des musulmanes tout au long des dernières années en France et parfois même partie prenante de la surenchère, la gauche a une responsabilité morale qu’elle ne peut fuir aujourd’hui, à l’heure de son triomphe. Cette responsabilité se double d’une nécessité politique : sans apaisement de la nation par le tissage de nouveaux liens entre les groupes sociaux qui la composent, sans reflux de la frénésie islamophobe (c’est-à-dire d’abord par l’abolition des mesures décidées par la présidence Macron), on peut craindre que le recul des forces nationalistes et réactionnaires ne soit qu’une brève embellie.
Mettre un terme à l’islamophobie comme politique de gouvernement n’est pas qu’un devoir moral de la gauche, elle n’est pas seulement un geste d’amitié civique envers les musulmans et les musulmanes de France, mais une manière d’expurger la société des affects les plus dangereux qui y prennent forme. Il en va de notre salut à toutes et tous.