Le « premier blocage islamiste d’une université en France » ?

À l’université Lumière Lyon 2, un enseignant a été interrompu en plein cours par des étudiant.e.s contestataires qui l’ont accusé d’être sioniste et pro-Assad. La scène a été filmée et diffusée sur le compte X de l’Union nationale interuniversitaire (UNI). Les grandes machines de la presse réactionnaire (la sphère Bolloré, Le Figaro…), se mettent alors en branle. Une figure est instantanément consacrée : celle du professeur courageux, menacé par les « islamo-gauchistes » qui infesteraient l’université, contraint de fuir le campus sous la vindicte. Pour le professeur, il s’agit d’une date historique durant lequel s’est dressé le « premier blocage islamiste d’une université en France »1.

Aucune interruption de cours, aucun débordement ne saurait être banalisé : il est légitime d’alerter sur les conditions de la parole universitaire, en particulier lorsque la violence ou l’intimidation s’y immisce. Mais la légitimité d’une inquiétude ne saurait exonérer de la rigueur ni de la contextualisation.

Le professeur en question a été ainsi invectivé par les étudiant.e.s du fait de ses positions publiques sur Bachar al-Assad ainsi que des propos tenus en cours sur la guerre à Gaza (il aurait ainsi affirmé selon les étudiant.e.s qu’il n’y avait pas de famine à Gaza et qu’Israël ne voulait pas tuer les Palestiniens2). Fabrice Balanche n’est en effet pas un universitaire ordinaire. Il compte parmi les universitaires français ayant exprimé à plusieurs reprises des positions favorables au régime de Bachar al-Assad. Il disait ainsi en 2015, qu’“on ne peut pas continuer à stigmatiser le régime de Damas alors qu’on a un cancer islamiste qui se développe dans ce pays3. Son nom est associé à une longue entreprise de justification du massacre des civils syriens, de minimisation de l’usage d’armes chimiques, et de réhabilitation d’un pouvoir dont les pratiques – torture systématique, bombardements de civils, viols de masse, déplacement forcé de populations – ont été largement documentées, y compris par les organisations internationales les plus prudentes. En 2016, Balanche accompagnait Thierry Mariani à Damas, dans une visite diplomatique orchestrée par les relais français d’extrême-droite du régime syrien4. L’un baisait la main du tyran, l’autre lui offrait sa caution académique.

Ce passé récent ne disqualifie peut-être pas Balanche en tant que chercheur. Il invite, à tout le moins, à interroger le contenu de ses interventions, dans une France où la parole d’autorité pseudo-académique est mobilisée pour conforter des politiques de surveillance, de suspicion généralisée et de répression des formes ordinaires de religiosité. Surtout, il invite également à remettre en question l’idée d’un « blocage islamiste d’une université française » : les revendications des étudiant·e·s relevaient d’un désaccord politique explicite, sans le moindre lien avec une quelconque idéologie islamiste.

Il faut par ailleurs souligner l’hypocrisie de ceux qui prétendent aujourd’hui défendre Fabrice Balanche au nom de la liberté académique : ce sont les mêmes qui, depuis des années, dénigrent les sciences sociales, caricaturent la recherche critique, et soutiennent les attaques les plus virulentes contre les libertés universitaires. Ceux-là mêmes qui, lorsqu’ils accèdent au pouvoir, œuvrent méthodiquement à détricoter l’université publique, selon les mots d’ordre d’une droite pour qui toute pensée dissidente est une menace.

La fabrication de la panique morale au sujet de l’islamisme franchit ici un nouveau seuil : on transforme l’expression d’une opposition politique et intellectuelle, contestable, débattable, parfois mal formulée, en symptôme d’une infiltration islamiste des universités. À travers cette opération, l’ensemble de la vie universitaire est mise en cause, sommée de se soumettre à une lecture univoque des faits et à un alignement idéologique.

Le Collectif contre l’islamophobie en Europe appelle à la plus grande vigilance face à cet incident. Non pour excuser ce qui doit être débattu, mais pour empêcher que le débat ne devienne impossible. La défense de l’université passe par la pluralité des voix, y compris celles qui s’opposent radicalement. Elle ne saurait se confondre avec une instrumentalisation victimaire destinée à renforcer les dispositifs de répression et à produire, une fois encore, l’image d’un ennemi intérieur. Le droit à la critique ne vaut pas pour les seuls puissants. Il vaut aussi pour les étudiant.e.s, les minorités et toutes celles et ceux dont la parole est systématiquement disqualifiée.

Photo d’illustration : ©Romainbehar

  1. Woessner, G. (2025, 5 avril). À Lyon-2, un professeur dénonce « le premier blocage islamiste en France ». Le Point. https://www.lepoint.fr/societe/a-lyon-2-un-professeur-denonce-le-premier-blocage-islamiste-en-france-05-04-2025-2586575_23.php ↩︎
  2.  Lyon 2 : Un prof se dit victime des « islamistes » , les médias Bolloré embraient sans vérifier. (2025, 7 avril) https://www.blast-info.fr/articles/2025/islamisme-fictif-a-lyon-2-un-prof-se-victimise-les-medias-bollore-embraient-sans-verifier-v505Ic5AT8WTq3z31YQuSw  ↩︎
  3.  Wallemacq, F. (2015, 26 février). Discuter avec Bachar El-Assad ? Trois questions à Francis Balanche – RTBF Actus. RTBF. https://www.rtbf.be/article/discuter-avec-bachar-el-assad-trois-questions-a-francis-balanche-8917243  ↩︎
  4.  Salvi, E. (2025, 5 mars). L’ultradroite française en week-end chez Bachar al-Assad. Mediapart. https://www.mediapart.fr/journal/france/280316/lultradroite-francaise-en-week-end-chez-bachar-al-assad  ↩︎

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