Ce 26 avril 2025, un meurtre est survenu dans une mosquée française. Aboubakar Cissé, un jeune homme de 21 ans, alors en prière, en prosternation, le front à terre, a reçu 57 coups de couteaux. Ces coups ont été assénés de sang froid par un individu déterminé mû par une haine destructrice à l’égard des musulmans qui est allé jusqu’à filmer la victime agonisante en proférant des insultes contre « son Dieu ».
Nous adressons nos pensées les plus sincères et nos condoléances à la famille, aux proches, et à la communauté d’Aboubakar Cissé, meurtris par cette perte insoutenable. Nous chérirons sa mémoire. Qu’il repose en paix.
Que dire de cette violence aveugle, dans l’état de consternation et de deuil où nous nous trouvons ? Ce qu’il s’est produit est un double crime. D’un côté, il y a l’assassinat d’un jeune homme, Aboubakar, humble, bienveillant, connu pour sa générosité. De l’autre, la profanation d’un lieu de culte, d’un espace sacré, d’un sanctuaire spirituel que la République devait protéger. En frappant Aboubakar au cœur même de la mosquée qu’il chérissait, le terroriste a violé l’intimité sacrée de la prière, la paix des croyant.e.s, la liberté de culte que la République prétend garantir. Aboubakar est mort, et la mosquée a été souillée, parce que la haine antimusulmane grandit en France, encouragée par l’inaction de ceux qui devraient défendre chaque citoyen, chaque lieu de culte.
Comment ne pas voir dans cet attentat l’aboutissement logique d’une dynamique de haine que la société française peine à reconnaître ? L’attentat contre le centre culturel kurde en 2022, la tentative d’égorgement d’un jardinier musulman en 2023, l’attentat de Bayonne contre une mosquée en 2019, tout comme les innombrables agressions, insultes, humiliations ordinaires et attaques contre les mosquées, dessinent la trame d’un climat où l’islamophobie ne relève plus de l’anomalie mais du régime ordinaire d’interaction. Ce meurtre n’est en effet pas un fait de violence isolée mais s’inscrit dans cette trame de brutalisation du lien social. Les violences islamophobes contemporaines sont rendues possibles par une architecture de disqualification systémique, où les signes d’appartenance à l’islam sont marqués du sceau du soupçon, du déficit de loyauté et de l’incompatibilité avec la République. L’hostilité se trouve relayée, consolidée et légitimée par des secteurs entiers du champ politique, médiatique et intellectuel. La haine est l’effet différé d’un long travail de sape des conditions de cohabitation.
Malgré les résistances profondes que continue de susciter ce mot dans certaines sphères politiques et médiatiques, le Premier ministre a employé le terme juste – « ignominie islamophobe ». Que le terme soit prononcé publiquement au plus haut de l’État, alors même qu’il est méthodiquement combattu par des Bruno Retailleau et des Manuel Valls témoigne d’une fissure bienvenue dans l’épaisse chape du déni.
Nous saluons l’émotion sincère qui a saisi une partie de la société française : forces politiques non gagnées à la fureur islamophobe, médias rigoureux refusant de céder aux réflexes de relativisation, communautés juives et chrétiennes témoignant d’une solidarité interconfessionnelle exemplaire, citoyens ordinaires bouleversés et engagés. Cette émotion, nous l’honorons. Mais elle doit devenir force politique, conscience structurée, refus lucide : la simple indignation ne peut suffire. Tant que la question musulmane sera construite comme un problème d’altérité, tant que la foi musulmane sera tenue pour un indice d’hostilité culturelle, tant que les actes de solidarité seront présentés comme des concessions dangereuses aux forces du « séparatisme » de « l’islamo-gauchisme », tant que les pires pathologies collectives seront ainsi excitées, il est à craindre que de nouveaux drames viennent endeuiller notre société.
Nous appelons à une prise de conscience sociale profonde : l’attentat à la mosquée de La Grand-Combe montre que l’islamophobie est aussi bel et bien une question de vie ou de mort. L’histoire nous enseigne que lorsque les discours d’exclusion, de criminalisation et de stigmatisation ne rencontrent ni résistance politique ni sursaut collectif, ils préparent le terrain au passage à l’acte. La haine tue – et elle tue d’autant plus sûrement lorsqu’elle a été rendue pensable, dicible, tolérable.
Photo d’illustration : ©Mosquée de La Grand-Combe